L’usage, chez nous, était d’avoir un portrait de soi à montrer. La photographie, même dans l’ancien goût, n’aurait pas convenu. Il fallait qu’un faiseur d’imaginaire nous représente. Cet homme-là était un petit peintre mieux qu’adroit, fort docile, d’ailleurs intelligent, toujours bienvenu.
Il n’avait pas de domicile propre ; il façonnait lui-même ses outils, recueillait, traitait, broyait lui-même ses minéraux, ses couleurs. On l’hébergeait le temps qu’il réalise le portrait qu’on avait commandé. Non qu’il eût besoin de vous voir : mais il fallait qu’il vous entende. Ces portraits, en effet, ne reproduisaient pas le modèle : ils incarnaient ce qu’on rêvait d’être.
Ce portrait une fois réalisé, on l’exposait dans la meilleure place du logis. Et à jamais on s’en supportait mieux soi-même et on en tolérait mieux autrui. Vous alliez chez quelqu’un, il se cachait malicieusement la figure et vous disait :
-Regardez-moi !
On regardait. On estimait autrui pour l’aspect qu’il s’était souhaité, non pour la laideur sur pattes que le hasard ou l’âge lui avaient donnée.
Le portrait était l’œuvre du modèle – la représentation, infiniment intime, de ce qu’il aurait choisi d’être s’il avait pu.
(in Les petits métiers, Tony Duvert, éditions fata morgana, 1978)
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