L’écrivain
L’écrivain tenait, à la Poste, un relevé de qui recevait des lettres et de qui n’en recevait pas. Selon cette liste, il expédiait des lettres anonymes : grossières ou affligeantes, à ceux qui étaient inondés de courrier, pour réduire leur orgueil ; exquises et ingénieuses, pour réjouir ceux qui n’avaient rien.
Il ne signait pas mais il savait imiter chaque écriture : et la lettre que vous receviez semblait toujours provenir d’une connaissance. Vous y réfléchissiez jusqu’à la torture. Était-ce une lettre de l’écrivain ? En ce cas, il fallait l’oublier. Ou n’était-ce pas l’envoi d’un ami, d’un voisin, d’un ennemi, qui avait négligé de signer ? Alors il fallait lui répondre, le rencontrer, savoir.
Par cette ambiguïté, chaque lettre de l’écrivain produisait de grands mouvements dans le village, des rendez-vous, des amours et des rixes qui n’auraient jamais dû avoir lieu. Sans lui, nous nous serions souvent renfermés sur notre sort et, privés de mensonges, nous n’aurions pas su qui nous étions.
(in Les petits métiers, Tony Duvert, éditions fata morgana, 1978)
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